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La voiture est-elle plus écolo que le vélo?

Il y a quelques mois de cela, je suis tombé sur un article du site automoto.com [1] qui ne m'a pas laissé indifférent...En effet, ce dernier, titré « la voiture plus écolo que le vélo ? » concluait que les déplacements en vélo seraient plus émetteurs en gaz à effet de serre (GES) que ceux effectués en voiture.

 

Autant le dire tout de suite, j'aime ce genre d'article !

 

Non pas parce que je vais croire aveuglément ce qui y est écrit sous prétexte qu'il se positionne à contre courant des idées convenues, mais parce qu'il amène à se poser des questions que l'on ne se serait jamais posées, tant la réponse nous paraissait jusqu'ici évidente.

Et aussi parce qu'il a tendance à déclencher de nombreuses et vives critiques souvent plus creuses que l'argumentaire de l'article lui même.

 

D'une manière générale, les critiques sont évidemment importantes pour approfondir un sujet, mais dans le cas de cet article, elles sont soit purement vides (insultes, dénigrement...), soit, comme on le verra avec l'exemple de l'article de Mr Mondialisation, se trompent d'argumentaire en faisant dire à l'article d'origine ce qu'il ne dit pas.

 

 

De quoi parle vraiment cet article ?

 

Il compare les émissions de CO2 (qui contribue à hauteur d'environ 76% des gaz à effet de serre anthropiques, c'est à dire produits par l'activité humaine [2]) d'un cycliste à celles d'un automobiliste.

voiture clim écolo
GES d'après le GIEC

De prime abord, on pourrait considérer la question comme stupide, vu que l'on sait que la voiture émet du CO2 du fait de la combustion du carburant, alors que le vélo fonctionne à l'huile de genou et n'émet que le CO2 produit par la respiration du cycliste, à savoir presque rien.

Avec ça, la question est réglée, il est évident que le vélo est plus écolo que la voiture, merci-bonsoir!

 

Sauf que cet article introduit une variable qui change les données du problème: l'auteur précise très justement que contrairement à l'automobiliste, le cycliste fournit un effort qui se traduit par une consommation de calories. Résultat : notre cycliste devra s'alimenter d'avantage que l'automobiliste pour combler cette différence. On se retrouve donc à comparer le bilan carbone du carburant de la voiture (essence ou diesel) à celui du cycliste (nourriture), et voici les conclusions de l'auteur :

Si le cycliste puise son énergie perdue dans une assiette de bœuf provenant du brésil (le premier exportateur mondial [3]) suite à sa sortie vélo, son bilan carbone sera près de 40 fois pire que celui de l'automobiliste, à distance égale (3070 g de CO2/km pour le bœuf contre 79g de CO2/km pour une Peugeot 208 HDI).

 

Il précise bien que le bœuf est l'un des aliments les plus mauvais en terme de bilan carbone, surtout s'il vient de l'autre côté de l'atlantique, et que si notre cycliste remplace celui-ci par du poulet, voire mieux par du tofu, son bilan carbone diminue drastiquement, jusqu'à devenir compétitif par rapport à celui de l'automobiliste (61 contre 79).

Mais l'auteur relativise en précisant que la voiture prise en exemple peut accueillir jusqu'à 5 personnes, ce qui divise par 5 le bilan carbone par passager, et qui redonne largement l'avantage à la voiture (61 pour le vélo contre 16 pour la voiture).

La conclusion de l'article est donc pour le moins surprenante : « l'usage du vélo n'est donc pas plus efficace que l'automobile pour lutter contre le réchauffement climatique ».

émissions CO2 vélo voiture

Les réactions.

 

Nous passerons rapidement sur les critiques complètement stériles proférées à l'endroit de l'article, telles que :

  • « vous êtes à la solde de la propagande industrielle automobile »

  • « votre article est ridicule »

 

Celles qui nous intéressent, plus construites, invoquent le fait qu'il oublie de dire que les automobilistes, eux aussi, mangent, et que le négliger dans le calcul fausse toute la démonstration.

Voici un extrait d'un article [4] rédigé par le site d'information écologiste « Mr Mondialisation » en réponse à l'article d'Auto-Moto:

« Comparer la pollution de deux véhicules du point de vue de l’alimentation revient à admettre que l’échantillon de conducteurs est similaire. Ainsi, cyclistes et automobilistes consomment exactement la même chose dans l’échantillon se voulant représentatif. Ils sont des citoyens moyens. En effet, on parle ici de citoyens lambdas dont le mode de consommation (viande ou pas) est parfaitement réparti. Principe élémentaire nié par le journaliste d’Auto-Moto pour orienter son propos. »

 

Soit. Sauf que l'alimentation des cyclistes est ici considérée comme leur carburant, au même titre que le moteur de la voiture. Ce qui fait avancer le vélo, c'est l'énergie déployée par le cycliste, et ce qui fait avancer la voiture, c'est bien le moteur, et non le conducteur ! (bon, d'accord, conduire demande de l'énergie - environ 4 calories / km [5] - mais elle est négligeable dans le calcul.)

Contrairement à celle des cyclistes, l'alimentation des conducteurs de voiture est ici hors sujet, ou du moins son influence est si faible qu''elle peut être négligée, contrairement à ce qui est mentionné dans l'article cité ci dessus.

Ces réactions sont révélatrices d'une tendance naturelle que nous avons tous : Il est toujours plus facile de simplifier, voire ridiculiser l'argumentaire de quelqu'un qui évoque une idée qui nous semble irrationnelle, plutôt que de chercher à comprendre quelle est véritablement la réflexion qui se cache derrière, au risque de se rendre compte que l'on avait tord  (je ne sais pas vous, mais perso, je n'aime jamais trop avouer que je me suis trompé!).

Pour les curieux, on appelle cette tendance le sophisme de « l'homme de paille » ou de l'« épouvantail ». L'expression est une image tirée de la technique d'entraînement au combat contre un mannequin de paille à l'image de l'adversaire. Se battre contre la représentation affaiblie de l'adversaire assure une victoire facile [6] .

Ils sont légions pendant les débats politiques lors des repas de famille du dimanche midi ! Chacun défend son poulain, ou son idée, tout en trouvant ridicule que l'on puisse penser autrement...

 

 

Qu'en est-il vraiment ?

 

Ceci dit c'est bien beau de critiquer les critiques, mais l'article original est-il pour autant fiable ?

 

Calculer le bilan carbone d'un moyen de transport peut vite devenir un puits sans fond, car énormément de variables sont à considérer. Comme on l'a vu en début d'article, utiliser un vélo n'émet pas de CO2, mis à part la respiration du cycliste.

 

Mais là ou cela se complique, c'est que pour être vraiment objectif, il faut considérer la vie entière du vélo (et de la voiture bien sûr), de l'extraction des matières premières nécessaires à sa fabrication jusqu'à son traitement en fin de vie (mise en décharge, recyclage...), en passant par l'usure des routes provoquée par le frottement des roues du vélo, ou la fabrication des parkings... [7].

On appelle cela l'analyse du cycle de vie. En gros, en terme de CO2, quand on secoue un arbre, il y en a des tonnes qui tombent !

L'infographie ci-dessous montre les différentes étapes de la vie d'un vélo, chacune d'elles émettant son lot de CO2.

analyse du cycle de vie vélo

La meilleure solution consiste alors à aller voir les résultat présentés par les experts, et voici ce qu'ils en disent :

 

Certaines études ne considèrent pas que le trajet en vélo nécessite un apport en nourriture supplémentaire, soit parce que le trajet étudié est court, soit parce que les auteurs considèrent que le cycliste puise dans ses réserves et que les calories perdues ne sont tout simplement pas remplacées [8].

Si l'on compare l'analyse du cycle de vie d'un vélo à celle d'une voiture en laissant donc l'apport en nourriture de côté, il n'y a pas photo : à quatre roues, on émet jusqu'à 20 fois plus de gaz à effet de serre qu'à deux-roues [8, 9].

GES  et CO2 voiture et vélo

Ceci dit, le fait de ne pas prendre en compte les émissions de GES dues à un apport de nourriture supplémentaire chez le cycliste est souvent critiqué, car c'est une variable qui peut peser lourd dans le calcul [10].

Et ce d'autant plus que dans les faits, le cycliste brûle de de 2,5 [11] à 7 [5] fois plus de calories qu'un automobiliste, ce qui fait que son bilan GES total sera plus dépendant du type de nourriture ingérée.

En effet, comme le tableau ci-dessous nous le montre, certains types de nourriture peuvent présenter un bilan carbone catastrophique, comme la viande de bœuf par exemple.

bilan carbone nourriture

Si l'on considère que le régime alimentaire des deux protagonistes (cycliste et automobiliste) est uniquement constitué de bœuf (on est d'accord, dans la vie réelle c'est improbable!), alors le vélo pourrait dans certains cas dépasser la voiture en terme d'émissions de GES, ce qui donnerait raison à l'article d'Auto-Moto:

bilan carbone vélo voiture nourriture

Par contre, si l'on se place dans un scénario plus probable, à savoir un repas classique dont le bœuf et le porc constituent 10% de l'alimentation totale [5] (je précise que l'étude est américaine, donc on peut supposer qu'un repas classique à la sauce redneck est tout de même assez calorique!), ce même tableau nous montre sur sa colonne la plus à droite que le cycliste émet pas loin de 10 fois moins de gaz à effet de serre qu'un automobiliste (et encore moins s'il suit un régime végétarien).

 

Ce tableau est synthétisé par l'infographie ci dessous (les valeurs sont différentes car j'ai ramené les données du tableau pour un miles et non pour 1,5 miles.)

Ces résultats sont confirmés par un autre article [11], qui considère également l'apport de nourriture dans ses calculs, et conclue que le cycliste émet environ 10 fois moins de GES que l'automobiliste lorsqu'il mange un repas classique (21 grammes de CO2 / km contre 271 pour la voiture).

comparaison vélo voiture CO2

On voit donc que les conclusions des études présentées ci dessus montrent un avantage assez clair du vélo par rapport à la voiture en ce qui concerne les émissions de CO2, sauf quand les curseurs sont clairement en défaveur du cycliste.

 

Contrairement au vélo, les autres moyens de transport peuvent accueillir plusieurs passagers, ce qui fait baisser leurs émissions de façon non négligeable. Malgré cela, même pour les transports en commun dont la capacité est très grande, le nombre de place n'est pas illimité, et le vélo conserve malgré tout une légère avance, même face au bus à l'heure de pointe [9].

 

taux d'occupation transports CO2

Comment peut-on alors expliquer que les conclusions de l'article d'Auto-Moto soient si différentes de celles des études que l'on vient d'évoquer, alors que sa méthodologie semble correcte?

 

Lorsque l'on se penche sur les données présentées, on se rend compte qu'en fait l'article tire toutes les couvertures en direction de l'automobile ! En voici quelques exemples :

 

  • la voiture choisie pour la comparaison présente le record toute catégories en terme d'émission de CO2 [12] (la peugeot 208 HDI avec ses 79 g de CO2/km), alors qu'il aurait été plus logique de se référer par exemple à la moyenne des émissions de CO2 de l'ensemble des voiture vendues en UE en 2015 (l'année de publication de l'article), à savoir 119,5 gCO2/km [13]. A ce titre, l'auteur fait une généralisation abusive : il parle d'un cas extrême (la Peugeot, dont les qualités vont dans le sens de son propos) et en fait une généralité.

 

  • si l'on se place dans un contexte classique et pour se mettre dans les même conditions que celles du vélo, à savoir un trajet urbain domicile-travail qui implique des fluctuations de vitesse, voire des arrêts - redémarrages, la voiture aura une consommation (et donc un taux d'émissions de CO2) souvent supérieure aux données constructeur. Allez soyons sympa et considérons qu'un trajet classique n'est pas 100% urbain, mais 70% urbain et 30% de grands axes. Dans ce cas, les émissions de la voiture explosent : 229 gCO2 / km [11].

 

  • Et ce n'est pas fini ! Si l'on rajoute l'analyse du cycle de vie du véhicule, comme on l'a vu plus haut, à savoir les émissions produites lors de la fabrication et de la fin de vie du véhicule, on arrive à une émission moyenne de : 271 gCO2/km [11]. On est donc bien loin des petits 79 gCO2/km présentés dans l'article ! Je rappelle que dans les mêmes conditions, le cycliste atteint lui les 21 gCO2/km.

     

  • L'auteur donne l'avantage final à la voiture par rapport au vélo en précisant qu'elle peut accueillir jusqu'à cinq personnes (dans l'exemple du modèle choisi pour la démonstration), et donc diviser d'autant le taux d'émissions de CO2 par passager. Sauf que dans les faits, une voiture est très rarement occupée complètement. Pire : dans le cas des déplacements domicile-travail, l'immense majorité des conducteurs sont seuls dans leur véhicule (en moyenne 1,2 personnes. Et tout type de trajet confondus, ce n'est pas beaucoup mieux : 1,5 personnes) [14].

     

 

 

Pour terminer.

 

L'auteur de l'article a donc mis les pieds dans le plat en posant une question qui a soulevé de vives critiques portées par des personnes dont la vertu du combat qu'il défendent mériterait un argumentaire plus fourni.

 

Finalement, la question mérite tout de même d'être posée, car on voit que les différences ne sont pas toujours très évidentes si l'on tire les curseurs en défaveur du cycliste. Ceci dit, si l'on considère que notre cycliste consomme un repas classique pour récupérer ses calories perdues sur le bitume à savoir pas une grosse assiette de barbak, il peut continuer à pédaler avec la conscience tranquille !

Comme d'habitude, pour ceux qui veulent débattre, commenter, etc..., c'est par ici, merci!

 

Références bibliographiques:

 

[1] Jean- Luc Moreau. L'automobile plus écolo que le vélo ? auto-moto.com.

 

[2] site leclimatchange.fr.

 

[3] Brésil : le géant vert ? Rapport d'information du Sénat.

 

[4] Bonjour, je suis cycliste et je pollue plus qu'une Ferrari selon automoto.com ! mrmondialisation.org.

 

[5] Cohen M et Heberger M. Driving vs. Walking: Cows, Climate Change, and Choice. Pacific Institute 2008: 1-7.

 

[6] Page Wikipedia « Epouvantail (rhétorique)".

 

[7] Page Wikipedia « Analyse du cycle de vie ».

 

[8] Dave S. Life Cycle Assessment of Transportation Options for Commuters . MIT 2010.

 

[9] Walsch C et al. A comparison of carbon dioxide emissions associated with motorised transport modes and cycling in Ireland. Transportation Research Part D 2008 : 392-399.

 

[10] Coley DA. Emission factors for human activity. Energy Policy 202 : 3-5.

 

[11] ECF. Quantifying CO2 savings of cycling.

 

[12] Jean-Luc Moreau. Peugeot 208 1.6 Blue HDi 100 : le diesel le plus propre du monde. automoto.com.

 

[13] Rapport 2016 de l'agence européenne de l'environnement.

[14] Rapport de l'agence européenne de l'environemment sur les taux d'occupation des moyens de transport.

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