EcoFacts
l'écologie à l'épreuve des faits
Pas de pesticides dans l'agriculture biologique, vraiment?
Savons-nous réellement ce qu'est un produit bio ? On a tendance à faire confiance un peu aveuglément, il faut le dire, aux labels fleurissant sur nos produits préférés.
Quelle réflexion se fait-on en voyant le label AB (pour ne citer que lui) affiché sur un emballage ? « au moins je n'avalerai pas de pesticide », « je lutte contre les multinationales qui s'engraissent en nous vendant des horreurs », « je contribue au bien être de la planète », « je mange un produit aux meilleures qualités nutritionnelles... » etc... Mais, tout cela est-il vraiment prouvé ?
N'attendez pas de cet article qu'il réponde à toutes les affirmations soulevées dans le paragraphe ci-dessus ! Tous ces sujets concernant le bio seront traités via d'autres articles, car nous verrons que les choses sont malheureusement plus compliquées et mitigées que ce que l'on entend le plus souvent.
What?! On m'aurait menti? (Tiens, Richard, voici tes royalties.)
Bref: venons-en aux faits : contrairement aux idées reçues, l'agriculture biologique n'est pas exempte de pesticides. Si vous venez d'apprendre quelque chose en lisant ces lignes, ne vous sentez pas seul : selon un sondage Harris interactive [1] , un français sur deux l'ignore.
Il faut dire qu'une certaine omerta règne sur la question, en témoigne un nombre important de sites internet grand public ventant les vertus des produits bio « sans produit toxique » . Un exemple parmi tant d'autres, sur ce site, l'agriculture biologique a recours « à l'homéopathie […], et refuse l'utilisation d'insecticides et de fongicides » [2] , ou encore sur cet autre site : « les fruits et les légumes bio se développent naturellement, sans l'utilisation de pesticides » [3] , ce qui, nous le verrons par la suite, peut s'avérer totalement faux.
Pour s'en convaincre, il suffit d'aller sur les sites vendeurs de produits phytosanitaires ou tout simplement sur la liste des produits utilisables en agriculture biologique [4] pour remarquer le nombre important de pesticides autorisés à cet usage (plus d'une centaine). De grands noms de l'agro-industrie (Syngenta, BASF, Bayer, Monsanto...) produisent ainsi des pesticides « bio » [5] [6].


Mais alors, si l'agriculture biologique utilise des pesticides, qu'est-ce-qui la différencie de l'agriculture conventionnelle ?
Dans un premier temps, il faut savoir que l'agriculture biologique ne se réduit pas à l'utilisation ou non de produits phytosanitaires. Elle doit répondre à un cahier des charges bien plus vaste, dans lequel on trouve par exemple les engagements suivants : utilisation d'OGM interdite (seuil de présence fortuite : 0,9%), recyclage des matières organiques, rotation des cultures [7] ...
Deuxièmement, les pesticides utilisés en bio ne sont pas les mêmes : il s'agit de produits naturels (cuivre, souffre, pyréthrines,... [8] [9]), contrairement à l'agriculture conventionnelle, qui utilise des intrants de synthèse (dont le glyphosate, un composé présent dans le fameux Roundup). Ceci dit, le fait que les produits utilisés en agriculture biologique soient naturels ne font pas de ces derniers des intrants potentiellement moins dangereux pour notre santé, comme le précise cet article (à venir).
Et en pratique ? Quelle type d'agriculture est la plus consommatrice de pesticides ?
A dose égale, c'est à dire en théorie, il est possible de déterminer et de comparer la toxicité de différents produits. Cependant, vous comprendrez aisément combien il est difficile de répondre à cette question en pratique, car énormément de variables entrent alors en compte : quel type de culture est concerné, quel pesticide est utilisé, à quelle dose, à quelle fréquence, etc...
Pour pouvoir clairement répondre à la question, il faudrait déterminer de façon précise quel type d'agriculture utilise des intrants en quantité plus importante, et de quel produit il s'agit, quel label est concerné, or il n'existe pas à ma connaissance de référence consensuelle en la matière. D'autant plus que de nombreuses techniques agricoles ne sont pas spécifiques d'un label particulier, et sont alors utilisées en conventionnel comme en bio [10] .
On peut néanmoins évoquer les pistes de réflexions suivantes (n'attendez pas d'elles de faire pencher la balance car elles sont contradictoires!) :
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En théorie, le cahier des charges de l'agriculture biologique (en l'occurrence le label AB, bientôt définitivement remplacé par le label européen, un peu moins contraignant), ne conseille l'utilisation des pesticides qu'en dernier recours [11] . En effet, pour lutter contre les adventices (en gros, les nuisibles), la priorité doit être donnée à la rotation des cultures, au travail approprié du sol, à la lutte biologique (utilisation des ennemis naturels des nuisibles). Les pesticides n'étant à priori utilisés que lorsque les techniques précédemment citées n'aboutissent pas au résultat escompté, ils sont censés être utilisés en moyenne à des doses moindres qu'en agriculture conventionnelle. Un autre point important à savoir : les herbicides, qui représentent tout de même 35% des pesticides utilisés en conventionnel [12] , sont interdits en agriculture bio [8] .

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En pratique, les choses ne paraissent pas toujours si évidentes: du fait de ses contraintes réglementaires, l'agriculture biologique souffre d'une rentabilité inférieure à celle du conventionnel (de 5% à 25% plus faible [9] [13] ), et il faut alors traiter une surface cultivée proportionnellement plus grande [14] .
Deuxièmement, les intrants naturels se dégradent plus rapidement [8] , il faut donc théoriquement traiter plus souvent [14] , en réalisant plus de passages [15] (la plus grande consommation de carburant en agriculture biologique due à la répétition des traitements phytosanitaires - jusqu'à deux fois plus dans le cas de la culture de pomme [16] - est largement contrebalancée par une moindre consommation d'énergie liée à l'absence d'utilisation des engrais de synthèse, ce qui fait de l'agriculture biologique une pratique globalement moins énergivore [9] .)
Pour avoir échangé avec quelques agriculteurs bio, ces derniers m'ont confirmé qu'ils étaient parfois contraints d'utiliser une quantité de pesticides importante en raison des facteurs évoqués précédemment. Ceci dit, ces témoignages isolés ne peuvent pas permettre d'en déduire une généralité.
Un exemple concret pour illustrer ce paradoxe des pesticides bio est celui de la société Bionest. Basé en Andalousie et première ferme d'Europe spécialisée en fraises bio en terme de volume de production, on retrouve ses produits en France dans des magasins spécialisés. Malgré le label bio, les pratiques agricoles sont sensiblement identiques à celles de leurs voisins conventionnels (monoculture hors-sol, irrigation au goutte à goutte...), la principale différence résidant dans la certification bio de tous les pesticides utilisés [17].
Nous voyons bien ici qu'en considérant toutes les variables, la problématique des pesticides entre agriculture conventionnelle et bio n'est pas si manichéenne !
Passons maintenant de la fourche à la fourchette, pour voir si la question des pesticides fait d'avantage consensus une fois arrivée dans notre assiette.
Y'a-t-il d'avantage de résidus de pesticides dans les produits issus de l'agriculture conventionnelle que dans ceux issus de l'agriculture bio ?
Dans la majorité des cas, oui [18, 19, 20, 21].
Pas forcément parce qu'ils sont utilisés en moindre quantité (on a vu au-dessus que l'agriculture biologique n'était pas systématiquement plus vertueuse en terme de quantité de pesticides utilisés), mais parce qu'ils se dégradent plus rapidement que les produits de synthèse [8] [9] .
Le rapport de l'EFSA de 2015 (données 2013) précise néanmoins que cela ne se vérifie pas dans tous les cas : cette année-là, la nourriture pour enfant échappe à la règle, avec des résidus de pesticides supérieurs à ceux présents en agriculture conventionnelle [22] (voir tableau ci-dessous). Même chose en ce qui concerne les produits carnés dans le rapport de l'année suivante (rapport 2016 p.71): les résidus sont davantage présents dans les produits bio.
Ceci dit, nous avons pu voir dans un autre article (à venir) que dans les deux cas (bio et non bio), les résidus présents dans nos aliments ne représenteraient qu'un très faible risque pour la santé des consommateurs.

Une agriculture bio et sans pesticide est-t-elle possible ?
Compte tenu de la pression démographique, le rendement des cultures est un sujet primordial [23]. Or, c'est justement les produits phytosanitaires qui permettent d'optimiser ce dernier. Envisager une suppression pure et simple de tout pesticide dans l'agriculture est donc pour l'instant une utopie (Aïe! Pas sur la tête! J'ai bien précisé: "pour l'instant"! D'ailleurs c'est pas moi qui le dit, c'est Jacques Caplat, un militant écologiste proche de Pierre Rabhi et de l'association Générations Futures [28], p.99 du livre).
Utiliser des alternatives aux pesticides est possible: le compagnonnage végétal (associer des végétaux qui s'échangent des services : fertilisation, action répulsive), la lutte biologique, la rotation culturale (alterner les cultures sur une même parcelle)...
Mais dans un contexte industriel, ces dernières constituent souvent un complément à l'utilisation des produits phytosanitaires, dans une proportion plus ou moins grande selon le type de culture, le climat...
Ceci dit, il faut savoir que l'importante quantité de pesticides utilisés en agriculture d'une manière générale n'est pas une fatalité.
Une méta-analyse menée par l'INRA prouve l'efficacité d'un système à « bas-intrants ». Ce dernier, basé sur le principe de l'agriculture intégrée, permet de diminuer de manière significative la quantité de produit utilisés par rapport au conventionnel (-50% pour le maïs, -70% pour le blé, ce qui est considérable!), tout en obtenant une rentabilité quasiment identique à cette dernière (contrairement à l'agriculture biologique) [24].
En France, le plan Ecophyto, piloté par le ministère de l'Agriculture et lancé suite au Grenelle de l'environnement, a pour but de réduire de 50% en 10 ans (d'ici à 2018) l'utilisation de produits phytosanitaires en France [25]. Pour l'instant, comme précisé dans un rapport au Sénat [26] , c'est plutôt mal barré, car en 2012, soit 4 ans après son lancement, la quantité globale de pesticides utilisés avait augmenté.
Dans le cadre de ce plan, l'INRA a montré que des aménagements permettraient de réduire en moyenne l’usage d’herbicides de 37%, l’usage de fongicides de 47%, et l’usage d’insecticides de 60%, sans perte de rendement [27].
Des solutions concrètes (et contraignantes, bien sûr, on peut pas tout avoir non plus!) existent donc pour diminuer la quantité de pesticides utilisés.
Pour terminer.
Précisons (s'il est utile de le faire) que cet article ne dit pas que l'agriculture biologique est pire que d'autres types d'agriculture en ce qui concerne le recours au pesticides, mais simplement que dans un contexte de production de masse, elle n'est pas forcément aussi vertueuse que ce que les entreprises qui en font leur commerce (Biocoop et consort) veulent bien le laisser penser.
Cela se justifie souvent par les contraintes liées à la pression démographique - mais également aux habitudes alimentaires pas toujours responsables des consommateurs (consommation excessive de viande, gaspillage... On y reviendra, on va tous en prendre pour notre grade!) - qui impose un rendement parfois difficilement compatible avec certaines valeurs fondatrices de ce type d'agriculture.
Plus que le bio, il s'agit avant tout de relativiser les arguments portés par le bio "industrialisé", que certains apparentent à une "agriculture conventionnelle sans chimie" [28] (terme qui peut porter à confusion, comme on l'a vu plus haut). Pour reprendre les mots de Philippe Baqué : « Bâtie sur le refus du productivisme et de l'industrialisation à outrance, le bio ne peut se jeter sans retenue dans leur bras sans s'y perdre [17] ".
Une autre question à se poser, sûrement plus importante encore en tant que consommateur, est la suivante : l'agriculture biologique est-t-elle meilleure pour notre santé que son homologue conventionnelle ? Ce sera le sujet d'un prochain article.
(Pour ceux qui veulent laisser un commentaire, c'est sous les références biblio, par ici). Merci!
Références bibliographiques:
[1] Sondage Harris interactive pour le blog alerte-environnement.
[2] http://www.bien-et-bio.com/conseils/alimentation-biologique/
[3] http://www.lasantedanslassiette.com/au-menu/dossiers/l-alimentation-bio/produitsbio.html
[4] http://www.agencebio.org/sites/default/files/upload/documents/3_Espace_Pro/guide_intrants_1015.pdf
[6] Doré T, Dufumier M, Rivière-Wekstein G. Agriculture biologique: espoir ou chimère? ed. Le muscadier.
[7] page Wikipédia de l'agriculture biologique.
[8] Site web du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer
[9] Rapport INRA. Vers une agriculture à haute performance. Vol 1. Sept 2013.
[10] Bahlai CA et al. Choosing Organic Pesticides over Synthetic Pesticides May Not Effectively Mitigate Environmental Risk in Soybeans. PLoS One. 2010; 5(6): e11250
[11] Préambule au Journal Officiel de l'UE relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits
biologiques (article 4). Juin 2007.
[12] http://www.natura-sciences.com/agriculture/pesticides-bio-pratiques-agricoles-bio.html
[13] Seufert V. Comparing the yields of organic and conventional agriculture. Nature 2012; 485: 229-232
[14] Seznec E. Toxiques, naturellement. Que choisir n°550, sept 2016, p24
[15] Forget D, Lacombe J, Durand A. Evaluation agri-environnementale de la conduite de la vigne en agriculture biologique et en production intégrée. Innovations Agronomiques 2009; 4: 253-258.
[17] Baqué Philippe. La bio, entre business et projet de société. p125. Ed Agone
[18] ITAB. Quantifier et chiffrer économiquement les externalités de l’agriculture biologique. Novembre 2016. Synthèse. p.11
[19] Smith Spangler C et al. Are Organic Foods Safer or Healthier Than Conventional Alternatives?: A Systematic Review. Ann Intern Med 2012;157(5):348-366.
[20] Baranski M et al. Higher antioxidant and lower cadmium concentrations and lower incidence of pesticide residues in organically grown crops: a systematic literature review and meta-analyses. British Journal of Nutrition (2014), 112, 794–811.
[21] Crinnion WJ. Organic foods contain higher levels of certain nutrients, lower levels of pesticides and may provide health benefits for the consumer. Alt Med Rev. 2010; 15(1):4-12.
[22] The 2013 European Union report on pesticide residues in food. EFSA Journal 2015;13(3):4038
[23] Entretien de Nicolas Munier-Jolain, agronome à l'INRA pour le site de la mission des animations des agrobiosciences. datant du 8 octobre 2012.
[24] Hossard L et al. A Meta-Analysis of Maize and Wheat Yields in Low-Input vs. Conventional and Organic Systems. Agronomy Journal 2016; 108( 3): 1155-1167.
[26] Note de synthèse Sénat. Pesticides: vers le risque zéro.
[27] Lechenet M et al. Reducing pesticide use while preserving crop productivity and profitability on arable farms. Nature Plants 3, 17008 (2017)
[28] Caplat J. Changeons d'agriculture. Réussir la transition. ed. Actes sud. p85.